Le Clocher de Tréguier

La ville actuelle de Tréguier n'existait probablement pas avant le vi ème siècle. C'est en 545 que Tugdual, fils du roi Hoël 1er et parent d'Arthur, sur l'ordre de Dieu, vint planter son bâton apostolique à l'entrée de la vallée de Traoun-Trécor. Il avait traversé la Manche sur un vaisseau que montaient les « jeunes gens de bonne façon », dit Albert Le Grand. Sa mère, sainte Pompée, qui est devenue la patronne de Langoat, sa soeur, la bienheureuse Sève, soixante-douze solitaires et une sainte veuve, nommée Mahélen, l'accompagnaient.

Le monastère de Tugdual fut bientôt le plus important de la Domnonée. Des pêcheurs et des agriculteurs, attirés par la beauté et la sainteté des lieux, y établirent leur foyer. La ville naquit ainsi, puis se développa jusqu'à devenir une cité florissante : à telle enseigne qu'à la mort de Tridanus, le dernier évêque de Lexovie, le peuple appelé à se prononcer, désigna Tugdual pour le remplacer.

Tréguier grandit de plus en plus, jusqu'à ce qu'elle fût digne de son titre de capitale de Trécor où la campagne, pleine de verdure et de fleurs, semble un îlot arcadien, un joyau de splendeur, qu'entourent des côtes sauvages sans cesse battues par les tempêtes.

Tugdual entra bientôt en lutte avec Conomor. Certains habitants de Lexovie prirent fait et cause pour le Prince du Poher. Une voix conseilla à Tugdual de se rendre à Rome. Il partit accompagné de deux disciples. Ses calomniateurs exultèrent. Leur joie ne dura pas. Tous les malheurs fondirent sur le pays. Les terres et les femmes devinrent stériles. La famine et la peste portèrent la désolation dans la plupart des familles. Les yeux des coupables s'ouvrirent. Il y eut des prières publiques et des processions, pour demander le retour de Tugdual. Une nuit que celui-ci était en oraison, un ange lui apparut qui lui ordonna de le suivre. Dès qu'ils furent dans la rue, l'ange présenta un cheval à Tugdual et lui dit de retourner dans son évêché.

Le lendemain, au point du jour. Tugdual se trouva transporté par ce cheval ailé sur un petit tertre en vue de son ancien monastère. Il mit pied à terre et, aussitôt, le cheval disparut dans les airs. Quand on apprit le retour miraculeux de l'évêque, chacun voulut lui offrir l'hospitalité. Tugdual refusa d'habiter le palais du roi de Lexovie et les plus riches demeures. Il fut dans les faubourgs demander l'hospitalité d'un humble journalier.

Quelque temps avant sa mort, Tugdual décida de transformer en cathédrale l'église de son monastère. Cette cathédrale que connut saint Yves, n'est pas celle qui existe actuellement et dont la première pierre fut posée en l'an 1339. Cependant, la Tour d'Hasting, sur laquelle elle s'appuie en partie, construite par les Normands quand ils envahirent la péninsule armoricaine, date du ix ème siècle. Le cloître n'a été construit qu'au xv ème siècle, en l'an 1461.

" Il y a des cathédrales plus belles que celle de Tréguier, il n'y en a peut-être pas de plus élégantes, ni d'une pureté de dessin et d'une harmonie de détails plus vraies ", a dit Onfroy Kermoalquin. Ses dimensions sont bien proportionnées et son aspect général, à l'intérieur, est plein de majesté.

Trois tours, en comptant la tour d'Hasting, s'élèvent au-dessus des combles. L'une d'elles est surmontée d'une flèche octogonale de granit, haute de soixante-douze mètres, dont les faces sont taillées à jour. Cette flèche commencée en 1785 fut achevée en deux ans. Elle remplace une flèche en plomb qui datait du xv ème siècle et dont la construction, suivant la légende, s'était faite dans des conditions qui valent d'être rapportées.

A la fin du xiv ème siècle, l'évêque de Tréguier, appauvri par les calamités qui avaient sévi sur la Bretagne, manquait d'argent pour achever sa cathédrale. Elle formait une masse compacte, un immense vaisseau dépourvu de son grand mât. C'est en vain qu'il avait tendu la main. Les seigneurs et les gens du peuple ne pouvaient, faute de moyens, lui venir en aide et il se désespérait.

Un jour que dans sa demeure épiscopale il réfléchissait à son infortune, il reçut la visite d'un seigneur étranger au pays qui lui dit :

- Je sais ce qui cause votre chagrin et je veux essayer de vous sortir d'embarras. Faites-moi confiance et dans très peu de temps une flèche magnifique et très haute couronnera votre église.

L'évêque alléché par cette offre en demanda les conditions.

Le visiteur se fit alors connaître. C'était Satan en personne.

- Je vous construirai, dit-il, la flèche que vous désirez, sous réserve que j'aie pour moi les âmes de tous ceux qui décéderont entre grand'messe et vêpres, le premier dimanche qui suivra son achèvement.

Le prélat réfléchit un instant, puis répondit qu'il acceptait le marché. Dès le lendemain, les ouvriers se mirent à l'ouvrage. Les Trécorrois n'en revenaient pas de l'ardeur qu'ils apportaient à leur labeur. Ils se demandaient bien où leur évêque s'était procuré les fonds nécessaires, quelle était l'origine des plombiers qui travaillaient aussi rapidement, aussi artistiquement surtout, mais faute de pouvoir répondre à la question, ils se satisfaisaient de regarder la haute et fine pyramide monter chaque jour davantage vers le ciel.

L'édification. s'acheva un samedi soir. Satan vint retrouver l'évêque et lui demanda s'il était satisfait. Il l'invita à lui présenter ses observations, s'il en avait à formuler. L'évêque répondit qu'il ne pouvait que rendre hommage au zèle des ouvriers et reconnaître que l'engagement avait été tenu.

- Il ne reste plus qu'à payer, ajouta Satan en rappelant les conditions du marché.

- C'est chose entendue, ce sera fait demain, répliqua l'évêque en le congédiant.

Le diable sortit de chez le prélat en se frottant les mains, à la pensée de la bonne récolte d'âmes qu'il allait faire. Il attendit sans impatience la messe du lendemain.

Elle commença et dura plus longtemps que de coutume. Cependant elle approchait de sa fin. Tout à coup l'évêque se tourna vers les fidèles et chanta l'Ite missa est, puis, sans prendre le temps de souffler, il entonna le premier psaume des vêpres : Dixit Dominus Domino meo ...

Alors seulement Satan comprit qu'il avait eu affaire à plus malin que lui.

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